La question de l’enseignement des fractions est aussi vieille que notre monde. Pourtant quelques millénaires n’ont pas suffi à en émousser le tranchant. Aujourd’hui comme hier elle est au coeur du curriculum du collège. Elle est ici l’occasion d’aborder les questions fondamentales que l’on pourrait aussi bien poser, à vrai dire, à propos de toute notion enseignée.
Qu’est-ce que « les fractions » ? Et qu’est-ce que « savoir les fractions » ? Les deux questions sont éminemment solidaires. La réponse concrètement donnée et concrètement observable a varié dans le temps. Elle varie dans l’espace, de pays à pays, d’institution à institution. Tout système d’enseignement institué définit un rapport officiel aux notions qu’il a reçu mission d’enseigner : un rapport officiel qui apparaît, à la lumière de l’analyse didactique, arbitraire autant que nécessaire. L’enseignant est pris au piège. Prétend-il introduire un changement dans ce rapport qu’il lui échoit de faire vivre dans la classe, il ne trouvera guère de partenaire avec qui négocier et contracter. La société se dérobe, l’institution est muette. L’ingénierie didactique n’échappe pas davantage à ce destin. Ses constructions raisonnées, bien souvent habiles, se révèlent impuissantes devant la raison de l’institution. Ou bien demeurent incomprises ; et, quand elles ne sont pas ignorées, promises à une prompte dénaturation.
Aussi trouvera-t-on ici moins des propositions qu’un dossier, qui veut poser le problème et élargir le débat logiquement préalable – à tout le moins dialectiquement lié – à toute entreprise d’ingénierie didactique. Ce dossier vaut interpellation. Il en appelle, contre les ghettos de l’expertocratie, au débat de publics démocratiques. Tout projet d’enseignement, toute volonté de changement est une question de société. Car, dans l’intimité de sa classe, en chacun de ses gestes, l’enseignant a la société avec lui ou contre lui. Les questions de l’enseignement sont au coeur des affaires de la cité. Ce travail est ainsi une contribution, entre mille autres possibles et tout autant nécessaires, à l’exercice quotidien de la simple démocratie.